"La justice du peuple est à la mode"
Par Flavien Hamon, publié le 12/01/2011 à 12:00
Flickr/.Silencio
Plus de 5600 personnes ont rejoint une page Facebook pour mettre en garde contre un homme accusé de pédophilie. Michael Stora, psychanalyste, explique ce mouvement de foule en colère version 2.0.
Des milliers de messages d'alerte. Quelques lignes de texte circulent de mur en mur sur Facebook [cliquer ici pour connaître l'histoire] depuis ce lundi, avec un nom et une accusation: "il se trouve sur Facebook et sur 1304 amis, plus de 95% sont de jeunes garçons". Et, souvent, accolé un qualificatif: "pédophile". L'initiative a vite dérapé puisque sa photo, son adresse et son numéro de téléphone ont été publiés aux yeux de tous et notamment des 5600 abonnés à la page de dénonciation. Accompagnés, parfois, de menaces de mort.
Qu'est-ce qui a pu pousser un si grand nombre d'internautes à violer la loi - et ainsi diffamer?
Quand on assiste à un effet de masse, les gens agissent de manière instinctive, à l'aveugle. Or, la foule a souvent tort! Agir en grand nombre ne nous fait pas prendre de bonnes décisions pour autant, loin de là. Il suffit de voir le drame de la Love Parade en Allemagne cet été: 19 personnes sont mortes en raison d'un mouvement de foule.
Et faire justice soi-même est dangereux. Si on a des suspicions sur un individu, il faut le signaler aux autorités et non le pointer du doigt sur la place publique. Dans le cas de la pédophilie, une haine très forte vient s'ajouter à ce phénomène de masse. Ce qui peut malheureusement aller jusqu'au lynchage verbal ... ou physique.
Est-ce un phénomène propre à Internet?
Non: depuis la nuit des temps, les gens ont souhaité faire la justice eux-mêmes, dénoncer leur voisin... Là où il y a du changement, c'est qu'Internet déshinibe. Et Facebook accentue ce phénomène - il fait naître de nouveaux corbeaux. Nous sommes habitués à utiliser notre nom véritable sur le réseau social, alors pourquoi ne pas dénoncer un comportement tendancieux en affichant celui d'une autre personne? On se dit: "Où est le mal dans l'action de faire monter un homme sur l'échafaud publique alors que nous dévoilons tous notre vie privée sur ce site?"
Facebook a de gros problèmes de modération. Usurpations d'identité, profils illégaux, mineurs qui s'exposent, insultes raciales..
D'autre part, le concept de justice du peuple revient malheureusement à la mode ces derniers temps. On peut le constater avec le projet de loi de Nicolas Sarkozy d'introduire les jurys populaires en cours correctionnelle. Les harcèlements sur Internet sont eux aussi fréquents et souvent violents comme on a pu le voir avec le cas de Jessy Slaughter.
Si la page de l'homme accusé de pédophilie a disparu, celle du groupe existe encore...
Facebook a eu, et a encore de gros problèmes de modération. Usurpations d'identité, profils illégaux, mineurs qui s'exposent, insultes raciales... Ces soucis donnent lieu à des dérives qui pourraient être étouffées dans l'oeuf plus rapidement qu'elles ne le sont. Ce groupe n'aurait jamais dû pouvoir aller aussi loin.
Source : L'Express.fr, cité par en-parler-et-agir.net
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